Nouvelles Philip Shaw

Les agriculteurs canadiens ne recevront pas 28 milliards de dollars

31 août 2020, Philip Shaw

Ce soir, je me suis encore promené dans mon champ de soya. Le 20 août dernier, je pensais voir quelques signes de maturation. J'ai cultivé une variété un peu plus précoce que d'habitude pour ma région, ce qui, je pense, pourrait me permettre de semer mon blé d’automne plus tôt. Cependant, lors de ma promenade dans les champs ce soir, je n'ai vu aucun signe. Je lui donne une semaine de plus avant de revenir me promener. En général, à la fin du mois d'août, les premières variétés de soya devraient montrer des signes de maturation dans le sud-ouest de l'Ontario.

En l'état actuel des choses, ma récolte de soya semble beaucoup plus importante qu'en 2019, lorsque je me suis battu pour la semer. Ce fut une année si étrange, marquée par le Covid mais aussi par une météo généralement clémente. Il était presque sinistre de se préparer à semer cette culture de soya. Le Covid 19 occupait tous les esprits. La plupart d'entre nous ont déjà pensé qu'ils pourraient avoir à risquer leur vie pour produire la nourriture du Canada. Maintenant que nous sommes à la fin du mois d'août, les choses semblent bien différentes. Le virus ne faiblit toujours pas, mais au moins, en tant que société, nous avons prouvé que nous pouvons aplanir la courbe. Cela nous donne une chance de nous battre avant qu'un vaccin ne soit disponible.

Outre les pertes de vies humaines très tragiques ici au Canada et dans le monde entier, les dommages causés à l'économie ont été immédiats. Jamais auparavant nous n'avons légitimement tenté de bloquer l'économie en mettant tout le monde en confinement. Il va sans dire qu'en Ontario, nous sommes en phase 3 de reprise de l'économie dans toute la province. Les enfants vont bientôt retourner à l'école en pleine controverse. Même l'économie canadienne est sur le chemin de la reprise.

En fait, selon BMO Capital Markets, l'activité économique canadienne est revenue à environ 95 % des niveaux d'avant la pandémie. Cette reprise est basée sur une augmentation de l'emploi, des ventes de logements et des dépenses de cartes de crédit. En allant plus loin, on pourrait presque dire que c’était écrit. Comme nous le savons tous, au Canada, nous suivons un peu mieux que nos amis américains les consignes de santé publique. Si l'on combine tout cela, il y a de bien meilleures chances que l'économie canadienne connaisse une reprise en force.

Bien sûr, cela aide lorsqu'il y a une énorme injection de capitaux dans l'économie. C'est en fait ce que nous avons obtenu, puisque les gouvernements ont commencé à dépenser agressivement pour aider les PME alors que l'économie se contractait au cours du deuxième trimestre de cette année. Le déficit fédéral est dix fois supérieur à ce qu'il était en décembre 2019. Ce type de mesures de relance, ainsi que d'autres mesures prises par d'autres pays occidentaux, a injecté beaucoup d'argent dans l'économie mondiale. Les machines à imprimer de la banque centrale ont tourné à plein régime.

Grâce à ces résultats, l'économie canadienne connaît aujourd'hui, au troisième trimestre, un taux de croissance annualisé de 36 %, contre 20 % aux États-Unis. Bien sûr, ces taux sont très positifs, mais ils sont comparés au deuxième trimestre moribond, ce qui les fait paraître plus élevés que la réalité. Il va sans dire que cela va dans la bonne direction et si nous pouvons un jour remporter la bataille sur le Covid 19, nos banquiers centraux auront contribué à sauver la situation. Cependant, le Covid 19 se répand toujours sur la planète. 

A la ferme, c'est un peu différent. J'ai vu cette semaine un rapport sur le Financement Agricole au Canada de l'économiste Isabelle Nkapnang, qui parle de la santé du secteur agricole canadien. Elle a indiqué que le ratio actuel des exploitations agricoles canadiennes était de 2,2, le plus bas depuis 2006, mais beaucoup plus élevé que le 1,93 enregistré en 1993. Les ratios courants mesurent la capacité financière qu'une unité agricole utilise pour couvrir ses dettes à court terme avec ses actifs à court terme. Dans la même étude, l'actif à court terme a légèrement diminué de 0,2 % en 2019, mais le passif à court terme a augmenté de 5 %.  En d'autres termes, en 2019, les exploitations agricoles canadiennes dans leur ensemble sont en recul. On peut supposer qu'avec le Covid 19, la situation s'est dégradée plus rapidement. 

C'est ce que l'on ressent. Il y a quelques mois, au plus fort de l'affaire du Covid 19, j'ai déclaré que les exploitations agricoles canadiennes avaient besoin d'un coup de pouce du gouvernement. Ce que nous avons obtenu, c'est une augmentation de la taxe carbone sur le séchage des grains. A l’époque, le secteur collectif était largement ignoré, et il a fini par rattraper la société car il y a eu des débuts de pénuries alimentaires et des problèmes dans les fermes avec de la main-d'œuvre étrangère.  Notre ministre de l'agriculture canadienne, Marie-Claude Bibeau, a souligné à juste titre que nos filets de sécurité agricole ne fonctionnent pas. Cependant, c'est vrai depuis 2006 et les conservateurs et les libéraux ont refusé de les réparer. Cela signifie que depuis plusieurs mois, l'agriculture canadienne est laissée à elle-même alors que les dépenses fédérales ont décuplé.

Bien sûr, c’est un vieux combat qui persiste. Les organisations agricoles comme les Grain Farmers of Ontario et l'UPA au Québec continuent de faire pression. Je crois aussi que le ministre Bibeau comprend l'ineptie de l'enveloppe du dispositif canadien de protection du revenu agricole. J'ai toujours pensé qu'il faudrait une femme ministre du Québec pour la modifier. Cependant, les agriculteurs attendent toujours. Peut-être que le départ de Bill Morneau qui laissera sa place à Chrystia Freeland pourrait arranger les choses. Je sais, j’extrapole. 

Il va sans dire que les agriculteurs canadiens ne recevront pas 28 milliards de dollars, comme c'est déjà le cas aux États-Unis. L'économie non agricole canadienne est peut-être sur le chemin de la reprise, mais notre économie agricole dépend de notre propre travail et des fluctuations du dollar canadien. Le Covid a été notre fléau. Le combattre restera l'une de nos plus grandes épreuves.


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