Ces derniers jours ont été plutôt difficiles ici, dans ma ferme, située à environ 17 kilomètres de la frontière américaine. C’est peut-être une façon étrange de décrire exactement l’endroit où je me trouve. Cependant, comme plusieurs Canadiens, nous vivons très près de la frontière américaine. Pour la plupart, tout au long de l’histoire moderne, ceci n'était qu'une simple question de formalité en lien avec l’histoire et le climat. Cependant, depuis l’élection du président Trump, notre monde a changé. Plus tôt en février, les Canadiens ont fait face à une administration américaine qui nous a demandé de devenir le 51e État. Au même moment, des tarifs punitifs de 25 % et de 10 % sur l’énergie ont été lancés comme menace. À bien des égards, cela ressemblait de nouveau à la guerre de 1812. Les guerres commerciales n’ont pas de gagnant, mais lorsqu’elles opposent les meilleurs amis et alliés, il est presque difficile de croire ce qui se passe.
C’est ainsi que Tony Keller du Globe and Mail s’est exprimé.
« Prétendre qu’une guerre commerciale avec le Canada est liée à des surdoses de drogue plus élevées aux États-Unis est aussi sensé que d’envahir le Groenland pour empêcher l’Iran de se doter de la bombe atomique. »
Être visé par les canons des Américains est désagréable pour tout Canadien. En fait, des huées ont retenti pendant l’hymne américain dans de nombreux arénas canadiens de hockey de la LNH. La même chose s’est produite lors du match des Raptors de la NBA à Toronto. En fin de journée, le 3 février, le président américain a cédé, reportant l’imposition de tarifs douaniers de 30 jours. Le premier ministre Justin Trudeau s’est adressé aux Canadiens au sujet de l’accord temporaire. C’était un pas de recul en direction de l’abîme vers lequel nous nous dirigions. Mais tellement de dégâts ont déjà été faits. Au cours de la première semaine de mars, nous serons de nouveau au même point ce qui, à bien des égards, constitue une condamnation à l’avance d'un retour au processus que nous venons déjà de vivre une première fois.
Le gouvernement canadien a déjà présenté les représailles commerciales qu'il propose contre toute imposition de tarifs américains sur les produits canadiens. C’était la réponse légitime au bras de fer auquel nous avons été forcés. Nous savons tous que des droits de douane de 25 % sur la plupart des produits et de 10 % sur les exportations de produits énergétiques vers les États-Unis seraient paralysants pour l’économie canadienne. Même maintenant, en particulier dans notre économie agricole, les choses sont très difficiles. Notre frontière est « collée » à celle des Américains, ce qui est négatif pour la croissance économique et notre niveau de vie.
Un exemple concret est celui des échanges commerciaux de produits agricoles par la frontière canado-américaine. Comme vous le savez tous, cela est très important non seulement pour les deux pays, mais aussi pour les agriculteurs des deux côtés de la frontière. Ayant écrit cette chronique pendant 38 ans, j’ai été là pour documenter toutes les considérations concernant le premier accord de libre-échange avec les États-Unis en 1989, l’ALENA, puis des années plus tard, l’AEUMC il y a quatre ans. Malheureusement, la violation imminente de l’AEUMC provoque déjà une accumulation des marchandises des deux côtés de la frontière. À l’heure actuelle, certains acheteurs américains retiennent leurs commandes en prévision que des tarifs soient mis en place. Multipliez ce genre de situation par la constante que vous voulez, et vous obtenez une incertitude qui prend des proportions démesurées. Toute économie agricole ne peut qu'être défavorable à cela.
Je m’attends toujours à des mesures punitives de la part du gouvernement américain. Autrement dit, je pense qu'il y aura des tarifs douaniers et que nous verrons alors ce que ça signifie comme paralysie pour le Canada. À mon avis, cela signifie une réduction de la demande pour les produits canadiens, qu'il s'agisse de céréales, de bétail, de pièces automobiles ou de gadgets. Cela signifie une contraction de notre économie, ce qui aboutira à une hausse du chômage. Il y aura moins de choix de produits à acheter et à échanger. Des preuves tangibles de la souffrance économique seront visibles tous les jours. Cependant, cela ne signifie pas la fin du Canada ou du Québec, et cela ne signifie pas que nous ne pourrons pas nous en remettre et prospérer un jour. C'est juste que toutes ces mesures punitives sont inutiles et irresponsables de la part d'un président américain à l'égard du plus grand allié que les États-Unis n’ont jamais eu.
Le premier ministre Justin Trudeau et notre équipe canadienne ont obtenu un sursis de 30 jours en mettant en œuvre un plan frontalier de 1,3 milliard de dollars. Il s'est engagé à créer un « tsar du fentanyl », c’est-à-dire un haut fonctionnaire chargé de régler la question du fentanyl. En fait, il s'est engagé à créer un groupe de travail conjoint sur le crime organisé et à inscrire les cartels sur la liste des terroristes au Canada. Tous les Canadiens et les Québécois ont cependant compris de quoi il s'agit vraiment, une réponse pour gagner du temps avec un président américain qui veut nous faire du mal.
Au fur et à mesure que nous avançons, nous devrons tous nous adapter. Bien sûr, rien de tout cela ne semble bon. Je ne crois pas aux prédictions économiques apocalyptiques si des tarifs douaniers sont imposés. Nous vivons une période chancelante. Le Canada et le Québec ont toujours avancé sur la base du grand principe selon lequel les États-Unis étaient une démocratie stable et il est clair qu’en 2025, tout cela a changé. Trouver notre voie à suivre sera probablement un défi, surtout à court terme. Nous devons défendre nos convictions et ne plus reculer d’un millimètre.