Nouvelles Philip Shaw

Les agriculteurs sont résilients et c’est nécessaire comme jamais auparavant

17 avril 2022, Philip Shaw

Je suis prêt à semer. La semaine dernière, j'ai continué la préparation de ma saison des semis du printemps. Avec le maïs de la nouvelle récolte qui se négocie actuellement à 8,50 $ le boisseau et le soya à 18,50 $, on pourrait penser que ce serait une situation dont rêvent les agriculteurs. Bien sûr, ces prix sont bons, mais je pense de plus en plus que le printemps 2022 arrive avec son lot d'angoisse en raison des circonstances surprenantes de notre époque. Qui aurait pu imaginer que l'azote serait supérieur d'environ 120 % à celui de l'année dernière et que des surtaxes tarifaires spéciales seraient appliquées aux engrais importés de Russie et de Biélorussie ? En tant qu'agriculteurs, le changement est notre seule constante et l’an 2022 s'annonce comme ça.

Lorsque je faisais des budgets plus tôt cet hiver, j'ai mis en place des augmentations de prix assez énormes pour les engrais et les produits chimiques et ce, à tous les niveaux. Je dois admettre qu’à cet égard, j'aime toujours espérer me tromper, mais de plus en plus, le choc des prix des intrants agricoles devient très réel. En plus de ça, cette semaine, nous avons reçu un signal de la Banque du Canada indiquant que les taux d'intérêt augmenteraient à l'avenir, car elle a relevé son taux de financement quotidien à 1 %, soit à 50 points de base de plus que la dernière fois.

Pour les agriculteurs comme moi qui se sont activement préparés pour les semis de printemps au cours de la semaine dernière, le sentiment est certainement différent. Par exemple, à première vue, on pourrait penser que cette année, la superficie de maïs serait en baisse en Ontario et au Québec en raison de toutes les rumeurs d'engrais plus coûteux. Cependant, alors que je prenais livraison des semences de maïs la semaine dernière, on m'a dit que les ventes semence de maïs étaient en hausse en Ontario. J'ai fait part de ma surprise au vendeur qui, à juste titre, m'a dit qu'il pensait que c'était à cause du manque de superficie de blé en Ontario. Avec environ un tiers de ma superficie semé à l'automne, cela avait beaucoup de sens. Inutile de dire de garder à l'esprit qu’aux États-Unis, l'USDA a établi les plus faibles superficies de maïs en cinq ans à 89,5 millions d'acres. Ça devient de plus en plus compréhensible que le soya, une culture moins gourmande en intrants, devrait l'emporter.

Nous pouvons débattre autant que nous voulons sur le mixte de cultures qui sera finalement semé. Il reste à savoir si cette année, l'USDA a raison dans son estimation de moins de maïs et plus de soya. La réalité est que les prix sont beaucoup plus élevés et nous constatons que ça a en partie créé la demande pour les intrants dont nous avons besoin pour faire pousser d'importants volumes. Il se trouve que la Russie représente une grande partie dans l'équation de l'approvisionnement d'engrais, ce qui crée une situation parfaite pour les prix élevés des engrais en 2022. La combinaison des contraintes d'approvisionnement liées à Covid et des barrières commerciales liées à la guerre a eu un impact énorme sur l'inflation, qui est l'environnement dans lequel nous nous trouvons ce printemps. À ce stade, il n’y a aucun signe de retour en arrière.

Alors que faisons-nous ? Fermons-nous les yeux et espérons-nous que ça marche ? Le soya à 20 $ et le maïs à 9 $ feront-ils disparaître tout ça ? Ou en fin de compte, ça ne fera-t-il qu'empirer les choses pour 2023 et au-delà ? Les réponses à ces questions sont difficiles à cerner parce que nous ne connaissons pas les réponses. Autrement dit, nous ne savons pas combien de temps durera la guerre et nous ne savons pas à quoi ressemblera le monde géopolitique si la guerre se prolonge dans les prochaines années. Cela pourrait être un retour vers une époque où la Russie n'était pas un acteur important sur les marchés des intrants agricoles. Ce n'est peut-être rien de tout ça. Il y a tellement d’inconnues alors que nous regardons vers l'avenir.

Certains agriculteurs pourraient considérer comme très injuste le tarif canadien de 35 % imposé sur les engrais qui n'étaient pas en transit avant le 2 mars 2022. Cela semble certainement être le cas, mais en temps de guerre, ce sont des choses qui arrivent. L'Agri Business Association de l’Ontario a exercé de fortes pressions sur le gouvernement fédéral pour tenter de résoudre toutes ces anomalies de prix. D'après ce que j'ai entendu aujourd'hui, les surtaxes tarifaires sur l'urée, le 28 % N et le MAP pourraient être une réalité pour les agriculteurs de l'Est du Canada ce printemps.

Tout cela s'ajoute à un environnement de plus en plus inflationniste où nous gérons beaucoup plus d'argent. Un autre agriculteur m'a dit la semaine dernière qu'en fin de compte, c'est exactement ce qui se passe. Nous payons beaucoup plus pour les intrants. Nous recevons beaucoup plus pour nos cultures, mais en fin de compte, nous sommes à peu près au même niveau et c'est si nous avons une bonne année de rendements. D'un autre côté, nous ne voulons vraiment pas parler d'une mauvaise année de production parce que nous savons tous que l'inflation n’en tient pas compte.

Le défi pour les agriculteurs de l'Ontario et du Québec est d'avancer prudemment dans cet environnement inflationniste. Il y aura des choix à faire. Avez-vous vraiment besoin de cet engrais supplémentaire ? Certaines augmentations de prix sont-elles si onéreuses que la récupération marginale des revenus ne suffit pas à couvrir le coût marginal d'achat de cet intrant supplémentaire ? Devrions-nous cultiver plus de soya avec moins d'engrais plutôt que plus de maïs avec plus d'exposition aux engrais ? Devrions-nous nous préparer à des prix des récoltes beaucoup plus élevés lors des étés chauds et secs ou devrions-nous nous attendre à tout le contraire ? Il y a tellement de choses à penser.

La guerre a rendu les choses très désordonnées et il est probable que cela continue. Nous sommes probablement lancés dans une période économique agricole sans précédent, peut-être même à de nouveaux niveaux de prix de référence. Dans l'état actuel des choses, c'est notre travail en tant qu'agriculteurs de faire fructifier une grosse récolte nord-américaine. Le monde en a besoin comme jamais auparavant. En fin de compte, même avec tous les nids-de-poule sur la route, nous réussirons probablement. Les agriculteurs québécois sont résilients et il sont nécessaires comme jamais auparavant.


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