Nouvelles Philip Shaw

Rapport du USDA, l’Argentine et Mère Nature : Ne semez pas trop profond.

12 mai 2018, Philip Shaw

 

L'USDA a publié aujourd'hui son rapport WASDE (Offre et Demande de Production Agricole) et, une fois de plus, les observateurs du marché se sont empressés de trouver quelques bribes d'information pour faire bouger nos marchés. J'apprécie les rapports de l'USDA comme n'importe qui d'autre, mais comme j’avais semé du maïs la veille j’étais occupé à faire du nettoyage. Avec les vents froids qui souffleront en Ontario demain avec la pluie, j'espère que ces graines dans le sol ont un peu de punch.

Je dis cela parce que, comme tous les agriculteurs le savent, semer est une chose, mais la culture en surface en est une autre. Dans ma carrière, je n'ai jamais eu à resemer du maïs, mais resemer du soja est quasi-annuelle. Malgré ce que disent les spécialistes des cultures de couverture, quelques centimètres de pluie sur un lit de semence enseveli sous un sol argileux lourd ne se termine généralement pas bien. La profondeur de semi a toujours été mon talon d’Achille.

Inutile de dire que l'USDA n'a pas le même problème et qu'il débarque chaque mois avec de nouveaux chiffres. Dans le rapport de mai, l'USDA prévoit une récolte de maïs de 14,04 milliards de boisseaux sur la base d’un rendement de 174 boisseaux à l'acre. La production de soja est prévue à 4,28 milliards de boisseaux avec un rendement de 48,5 boisseaux à l'acre. Ces chiffres ne sont pas vraiment une surprise. Je pense que nous savons tous, tout comme mon maïs dans le sol, que les projections de rendement à ce stade-ci ne sont qu'une théorie.

Les chiffres de production importants arriveront à la fin juin, lorsque l'USDA publiera les chiffres réels de ses superficies de maïs et de soja. De nombreux analystes prévoient que les superficies de maïs et de soja seront supérieures à 90 millions d'acres, contre 88 millions d'acres pour le maïs et 89 millions d'acres pour le soya selon les prévisions du USDA dans son rapport du 29 mars dernier. Si cela se produit, et que Mère Nature décide de se montrer gentille, nous pouvons nous attendre à ce que des stocks de grains plus importants que prévus soient de la partie en 2018. Bien sûr, nous ne savons pas si Mère Nature sera sympa, elle l'a déjà été au cours des cinq dernières années.

Ce sera essentiel pour l'avenir, car nous savons qu'en Argentine, Mère Nature s'est vengée. Par exemple, nous nous sommes habitués à des récoltes en Argentine de l’ordre de 57 millions de tonnes de soja, mais aujourd'hui, l'USDA a ramenées celle de 2017 à 39 millions de tonnes, soit 1 million de tonnes de moins qu'en avril. Dans le même temps, l'USDA a porté la production brésilienne de soja à 117 millions de tonnes. C'est toute la dichotomie entre l'Argentine et le Brésil. Imaginez que cette configuration météorologique ait été déplacée un peu plus au nord? Nous pourrions parler d'une diminution sans précédent de l'offre mondiale de soja. Cependant, encore une fois, ce n'est qu'une théorie.

C'est aussi une théorie selon laquelle tout sera rose ici en Amérique du Nord cette année, parce que nous nous y sommes habitués au cours des cinq dernières années. Vous vous rappelez 2012, quand le Midwest américain a brûlé ? Je suis allé de Détroit à Saint-Louis en août et la récolte de maïs américain avait fini par donner 120 boisseaux à l'acre. Je ne dis pas que cela va se produire même si les projections sur la sécheresse cette année sont beaucoup plus importantes que l'an dernier. Ce que je dis, c'est qu'en tant qu'agriculteur, je l'ai déjà vu plus d'une fois. Vous plantez une culture et vous la retrouvez dévastée par la sécheresse. Je déteste ça, mais cela fait partie de toute entreprise agricole. À l'approche de la fin du printemps, n'oubliez pas que ce marché des grains est devenu quelque peu complaisant face à cette réalité qui se concrétise.

L'USDA a fixé les stocks de la nouvelle récolte de soja à 415 millions de boisseaux. Les stocks finaux de maïs de la nouvelle récolte sont estimés à 1,682 milliard de boisseaux. En même temps, l'USDA a réduit la récolte de maïs du Brésil à 87 millions de tonnes, ce qui représente une baisse de 5 millions de tonnes par rapport à sa projection d'avril. C'est une réduction non négligeable. Lorsqu'on combine une forte demande et moins d'acres, 1,682 milliard de boisseaux de maïs américain ressemble presque à une bouffée d'air frais. Mettez le rendement de 120 boisseaux à l'acre de 2012 et les choses se gâtent très vite.

En Ontario et au Québec, nous avons eu un peu de mal à mettre les cultures en terre, le temps devenant froid et humide cette semaine, cela risque de continuer à poser problème. Cependant, si les conditions météorologiques sont bonnes, on peut tabler sur 2,2 millions d'acres de maïs en Ontario. Avec un nouveau record de rendement de près de 180 boisseaux à l'acre l'an dernier en Ontario, ce n'est pas une surprise. Un prix fixe de 5$ le boisseau et plus en Ontario favorise les acres de maïs. Sa productivité est tellement plus élevée que celle du soja dans l'Est du Canada.

La semaine dernière, j'ai dit qu’il fallait préparer ses objectifs de commercialisation de grains. Cette semaine, je redis la même chose, mais n'oubliez pas la réduction des stocks de maïs de la nouvelle récolte prévue par l'USDA. N'oubliez pas la nature saisonnière de nos marchés. Au cours des huit prochaines semaines, nous allons traverser une période où en général nous atteignons des sommets. Cependant, comme en Argentine, c'est la variable météo qui détient la clé. Cela ne se passe pas toujours comme on le souhaite. Comme en 2012, certains d'entre nous ont échappé à cette sécheresse et ont vendu le maïs à 8$. D'autres ont obtenu 40 boisseaux à l'acre.

Bien entendu, la difficulté consiste à faire preuve d'une grande vigilance dans la gestion de notre risque de prix au cours des huit prochaines semaines. Le 4 juillet pourrait être un feu d'artifice pour les marchés, ou un moment où les prochaines récoltes seront déjà acquises et où l'on amorcera alors une longue marche dans le désert vers 2019, en espérant des jours meilleurs pour les prix. Certains d'entre nous pourraient regretter de ne pas avoir vendu alors que le risque était si élevé.

Mais avant tout, j'ai des récoltes à semer. C'est là que nous investissons tous des millions de dollars en espérant que quelque chose va pousser. Ce n’est pas de la « business » pour les cœurs fragiles. Ne semez pas trop profond.



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